
Les Bâtisseurs d'empire ou le Schmürz
Boris Vian"Un homme digne de ce nom ne fuit jamais. Fuir c'est bon pour un robinet".
Présentation
Boris Vian / Vincent Ecrepont
Terrifiée par un bruit étrange qui gronde dans la rue, une famille migre d’étage en étage et se réfugie dans l’appartement du dessus, à chaque fois plus étriqué. Recroquevillé dans un coin de la pièce, ils y retrouvent un « schmürz », un homme silencieux que chacun frappe tour à tour à l’exception de l’adolescente révoltée par la violence de ses parents.
Ce qu’il fait sens de questionner avec cette tragédie burlesque d’une éclatante modernité c’est le NON-DIT et la PEUR : la lâcheté et le mensonge qui lient les parents de cette famille en repli sur elle-même, mais aussi la peur de l’étranger nié et même torturé.
Ce texte pourrait commencer comme un Ionesco pour se terminer comme un Beckett.
C’est une pièce sur le déni mais aussi sur l’absence de transmission de sens à une génération en perte de repère. Devant cette jeunesse sacrifiée, c’est à coups de pieds et de taloches sur un Autre dont on nie l’existence que l’on se refait une bonne moralité.
Ce portrait de famille écrit au vitriol dans une langue aussi cocasse que cruelle se révèle être une fabuleuse machine à rire et à penser notre société.
La presse en parle
Vincent Ecrepont met en scène avec succès cette tragédie féroce et burlesque. Un périple drôle et cinglant. L’ensemble est percutant et d’une évidente modernité. Vincent Ecrepont orchestre le jeu théâtral avec minutie et un juste équilibre, et les comédiens sont excellents / La Terrasse
Ce portrait de famille au vitriol, cocasse et cinglant, réserve énormément de moments d’humour. / Le Parisien
Distribution
Production Cie à vrai dire et la Comédie de Picardie - Coproduction Les Déchargeurs / Le Pôle diffusion et Le Palace - Service culturel de Montataire
Multimédia
Notes & extraits
MOT DE L'AUTEUR
Dans mon parcours de metteur en scène, le choix de travailler ce texte se fonde sur un désir de prolonger l’étude de la cellule familiale amorcée à travers les oeuvres de Jean-Luc Lagarce, Lars Noren ou même Hervé Guibert. En revanche, c’est avec un mode narratif incisif et ludique ainsi que par un traitement scénique résolument distancié que j’envisage d’aborder ce nouveau projet. De fait, la forme de cette pièce dans laquelle rire et drame se côtoient cruellement pourrait s’apparenter à celle d'une tragédie burlesque. Elle met en scène une famille qui se veut normale … ou tout du moins qui tente d’en donner les apparences : un père courageux, une mère dévouée, une fille sentimentale et tout ce petit monde habite un appartement des plus coquets. Mais un bruit étrange, issu de manifestations ou de désordres sociaux qui grondent à l’extérieur, pousse cette famille à se déplacer et à monter toujours plus haut, dans un appartement toujours plus petit. Ils y retrouvent immuablement dans un coin de la pièce, le Schmürz, un homme silencieux que les membres de cette famille torturent tour à tour. Ce personnage muet sur lequel chacun se défoule dès qu’il est entravé ou en colère représente à l’évidence une incarnation scénique de notre refoulé.
Le projet scénographique s’articule étroitement avec une création lumière qui morcellera et resserrera l’espace. Une certitude : tout traitement réaliste est d’emblée écarté. Délibérément, l’escalier ne sera pas matérialisé, par exemple. C’est une scénographie évolutive, qui permettra un resserrement de l’espace à l’image de la perte d’équilibre de cette famille qui glisse et se replie peu à peu sur elle-même. Ce qu’il m’importe de mettre au plateau dans cette pièce de Boris Vian, c’est la jubilation de la crise cinglante que traverse cette famille bousculée par la peur et le non-dit. C’est bien en creux que résonnent les silences, le refoulé et le refus de porter un regard lucide sur soi et ceux autour de soi. La pièce parle très clairement des rôles familiaux et sociaux derrière lesquels certains masquent une absence à eux-mêmes. C’est une pièce sur le déni mais aussi sur l’absence de transmission de sens. La jeunesse est sacrifiée et c’est à coups de pieds et de taloches sur un Autre dont on nie l’existence que l’on se refait une bonne moralité. Entre cocasserie et noirceur, ce portrait écrit au vitriol dans une langue aussi percutante que mordante inspire une matière à penser d’une éclatante modernité.
EXTRAITS
Acte I
MÈRE. Cruche, donnez à manger à la petite.
CRUCHE. Oui, madame. Veux-tu des œufs, du lait, du gratin, du porridge, du chocolat, du café, des tartines, de la confiture d’abricots, du raisin, des fruits, des légumes ?
ZÉNOBIE. Non, je veux manger.
CRUCHE. Bon. Alors, mange, puisque tu ne veux rien.
Acte II
ZÉNOBIE. Qu’est ce que c’est que le bruit, Cruche ?
CRUCHE. Quel bruit ?
ZÉNOBIE. Le Bruit…
CRUCHE. Il y a mille espèces de bruits. Quand ce ne serait que les cris d’animaux…
ZÉNOBIE. Non… le Bruit… chaque fois qu’on s’en va…chaque fois qu’on se lève, en pleine nuit, pour monter l’escalier, comme des fous, en oubliant tout, en se faisant mal… pourquoi on ne reste pas, une fois, une seule fois ? Pourquoi on a peur, comme ça… c’est tellement grotesque…
CRUCHE. On n’a pas peur… on monte l’escalier, et voilà.
ZÉNOBIE. Mais si on restait ? Si on était restés ?
CRUCHE. Personne ne reste.
Acte III
PÈRE. Mais je m’étais posé une question. Que fait l’homme seul dans sa…retraite ? Hum. Retraite. Le mot n’est pas très juste. C'est-à-dire qu’il est juste, évidemment, lorsqu’on considère l’une de ses acceptions, courante d’ailleurs : l’ermite dans sa retraite, le bénédictin fait retraite… Mais dans retraite, il y a aussi retraite… fuite devant l’ennemi. Est-ce une fuite que cette ascension ? Un homme digne de ce nom ne fuit jamais. Fuir, c’est bon pour un robinet. Non…ça ne me fait pas rire. C’est drôle. Mais il est sage de remarquer, incidemment, que l’on bat en retraite. Et qui bat-on ? L’ennemi. Ainsi, par un retour étrange des choses, cette cellule… cette retraite… sera ma victoire sur l’ennemi. Quel ennemi ?