
Le Poisson combattant
Fabrice MelquiotPrésentation
Ce n’est pas qu’une fiction / ce n’est pas qu’une fable / ce n’est pas qu’un mensonge.
C’est une séparation. On ne s’aime plus, pas question de jouer les copains, quittons-nous. Alors il part, lui laisse la maison, à elle. Elle et la petite, leur laisse tout. Parce que la petite restera avec elle; faut croire que ça l’arrange, lui. La nuit précédant son départ, le poisson combattant, celui de la petite, qu’on a appelé Dr Manhattan, qu’on a vachement aimé depuis un an qu’il dort là, le poisson combattant saute hors de son bocal et meurt, sec, au pied de la console. Dès lors, pour lui, un seul but: trouver l’endroit pour l’enterrer, enterrer le poisson quelque part, va savoir où, un endroit, mettons idéal, disons même l’endroit prévu, on imagine qu’un endroit est prévu pour chaque créature, c’est ce qu’il se dit. Comme s’il en allait de sa propre existence, remisée, défaite, à recoudre, il prend la route. Errant, il s’immisce dans des identités, passagères, provisoires. Que peut le corps désagrégé, sinon survivre, d’enveloppe en enveloppe, de corps en corps, de masque en masque? Et l’on se découvre termite ou bien ours, adolescent insomniaque, enfant au bord d’un étang, en attente d’un mirage ou d’un miracle.
La presse en parle
Distribution
Production la cie du Passage en accord avec Les Déchargeurs / Le Pôle diffusion
La compagnie du Passage bénéficie du le soutien des départements des Affaires Culturelles de la ville et du Canton de Neuchâtel, du Syndicat intercommunal du Théâtre Régional de Neuchâtel et de la Loterie Romande.
Multimédia
Notes & extraits
LE MOT DE L'AUTEUR ET METTEUR EN SCÈNE
J’ai dédié Le Poisson combattant à un poisson combattant. J’ai eu dans ma vie un poisson combattant. Il s’appelait Charlie. Il a fait un peu de théâtre, une figuration dans un autre monologue que j’ai écrit et mis en scène, intitulé Quand j’étais Charles. A la mort de Charlie, dans un saut de l’ange plein de panache, j’ai été très ébranlé. L’enfance s’est retournée dans sa tombe ouverte ; elle m’a regardé avec une très grande pitié. Je me suis revu, petit garçon, assister à une scène identique : le saut du poisson hors du bocal (à l’époque un poisson rouge, d’une taille impressionnante). J’avais oublié la scène : elle a sauté, elle aussi, mais comme une mine dans la mémoire. Je me suis demandé : quel est ce saut, revécu ? Et pourquoi tant de chagrin ? Pourquoi l’enfance murmure-t-elle ? Pourquoi si souvent ? En quoi ce poisson sec au pied d’une table semblait-il un Yorick revenu des tréfonds ? Bouffon de l’enfance, dégoûtant, déroutant. Quelque chose venait de naître. Le désir de comprendre, chercher à comprendre encore, en quoi le jeu (la notion même, et dans sa polysémie) est tragique, l’enfance inquiète et inquiétante. C’est l’histoire d’un homme qui, pour enterrer un poisson mort, remonte le cours d’une rivière intérieure, dont le flux charrie souvenirs et peurs ; c’est un homme anadrome, qui, comme tous les saumons, revient à l’enfance pour y régénérer son présent, ouvrir sa joie, conjurer les ombres.
J’ai écrit le texte pour Robert Bouvier, acteur sans âge, dont l’enfance déborde dans le corps et la voix. Sur scène, il ne sera pas seul. Quand on écrit un monologue, on compose un monde entier, qui tient dans une seule bulle de pensée, dans le mouvement d’un corps unique, cherchant tous les corps qu’il contient. C’est Elissa Bier, avec laquelle j’ai déjà collaboré (Le Hibou, le vent et nous / Camiski ou l’esprit du sexe) qui a conçu la scénographie : espace blanc, translucide, fragile. La bulle en question - phylactère déployé pour homme cloîtré. Peu à peu, l’espace sera envahi puis dévasté par quelques meubles du couple, à des échelles détraquées, tombeau domestique, symbole de la vie conjugale, malédiction rampante. Avant que tout éclate et que l’amour terroriste ôte sa cagoule, tombe son masque.
Sur les parois souples de la bulle, Janice Siegrist travaille à la projection des mondes en creux, implicites, à distance de l’illustration vidéo. Le personnage de la pièce est cinéaste ; les images sont là pour dresser la psyché autrement qu’en mots. Pour dialoguer aussi. Les images projetées : interlocuteur de choix.
Julien Baillod créera une musique originale à partir de morceaux définis : I want you d’Elvis Costello, Diabolo Menthe d’Yves Simon, Sexy and I know it de LMFAO. L’environnement sonore est primordial : on est à l’intérieur du personnage, dans un univers mental et organique : avion qui passe, nuit bruissant, chiens qui aboient, flux sanguin, voix de l’amoureuse, voix de l’enfant, fantômes d’objets et de personnes. Un transistor posé là, dans l’espace clos, source diégétique dégueulant toutes sortes de rumeurs.
A ce moment précis l’homme se dit:
Que ne donnerais-je pas pour le bonheur
d’être en Islande à tes côtés
sous le grand jour immobile
et de partager l’instant présent
comme on partage la musique
ou le goût d’un fruit.
A ce moment précis
l’homme était en Islande à côté d’elle.
Jose Luis Borges, Nostalgie du présent, 1981
Si je suis nostalgique, c’est du présent, comme Borges le signifie dans ce court poème. Ce qui m’importe, en créant ce texte, c’est bel et bien la décharge électrico-poétique qu’il s’agit d’administrer aux vivants, pour qu’ils voient demain d’un œil moins cerné. Spectacle punk, si l’on veut, qui dit : No future without poetry. No future without bodies. No future without poetry burning inside bodies.
Notre définition de l’espoir responsable.
Fabrice Melquiot
EXTRAIT
Nous ne nous quitterons pas bons amis. Nous ne nous quitterons pas fâchés. Nous nous quitterons amers de n’avoir pas su prendre / le milliard de virages qu’il faut savoir négocier / pour prétendre à la
longévité des bêtes accolées. Nous nous quitterons du sel plein la bouche. Et le miel pour les porcs. Laisse-moi embrasser la petite / laisse-moi la prendre dans mes bras mous / laisse-moi avec elle / que
je puisse lui dire / lui dire que demain je vais / que dorénavant nous / fais semblant d’avoir sommeil / monte te coucher / moi je vais / il faut que je lui dise que / sans t’accabler / sans m’accabler.