INTERFERER
La vie s’écoule nonchalamment dans sa routine paysanne. Mais l’Algérie interfère, souvenirs tracés à la gouache fétide, images incisives, pensée nécrosée. Quand il rentre chez lui, Jeannot n’est plus Jeannot.
Elle aime un homme, son homme à l’instinct de loup. Elle aime les loups. Mais un matin ne reste plus qu’elle dans le lit. Le loup s’en est allé. Fébrilité. Irritation. Crispation. Désappointement. Recommencer, trouver un nouveau loup. Sauf que dans le terrier, ce n’est pas un loup qui capte et capture son regard. C’est une louve.
La routine avale les jours depuis trente-six ans. Depuis trente-six ans, chaque jour, à la même heure, au même endroit, Reger s’assoit sur le même banc. Contemple le même tableau. Profite de la même température de dix-huit degrés précisément identique de jour en jour. Puis, soudainement, il interfère sa routine d’un mystérieux rendez-vous.
Ce jour-là, il l’attend.
Le corps du héros Libertashio est encore chaud, à peine entamé par les vers qu’un groupe de soldats imposant et assourdissant débarque, renverse, bouscule, piétine le quotidien d’une famille déjà perdue d’avance. Rien à faire, il leur faut un Libertashio, peu importe qui, tant qu’il en emprunte le statut, le nom.
Une exécution soudaine fait interférence à leurs vies.
Dans les caves, le tumulte prend forme, interférant avec le silence habituel. Les coulisses de Britannicus et de Tartuffe se dévoilent, Beckett reprend forme au travers des corps, Victor Bâton effectue rencontre sur rencontre enchaînant les échecs, le saumon remonte la rivière dans un drôle de périple, et la musique s’y répand sur la surface des pierres, les notes y coulent, la verve des textes y éclate dans l’air gonflant les sous-sols de vie.
Adrien Grassard
