
Chroniques familiales est la première étape d’un processus de recherche pour un projet d’écriture en cours, autour de l’héritage familial mis en perspective avec l’Histoire à travers les histoires individuelles, abordant la question des racines, de la double culture, et leurs résonances aujourd’hui avec, toujours, en toile de fond, la question de la mémoire et de la transmission, ainsi que celle du silence. Les ateliers et restitutions mèneront par ailleurs à un travail dramaturgique autour de la matière textuelle accumulée, qui pourra faire l’objet d’une publication sous forme de recueil (sous réserve de trouver une maison d’édition partenaire).
Rebecca Vaissermann
Se souvenir, écrire et partager.
Vienne, Autriche, début des années 60.
Rebecca Vaissermann
Mon grand-père est parti avec ses enfants pour quelques jours à Vienne. C’est un souvenir qui m’est raconté par mon père. Mon grand-père, lui, ne raconte jamais rien.
Ils ont roulé, pendant des heures, avant d’arriver enfin dans un café du centre-ville.
En entendant parler allemand autour de lui, il se met machinalement à compter, au moment de payer l’addition.
Eins, Zwei, Drei. Avec un fort accent yiddish.
Ce yiddish qu’il n’a plus parlé depuis que sa mère – mon arrière-grand-mère – a « disparu ».
« Disparue ». C’est ce qu’on dit dans la famille. C’est ce que mon père entendra toute son enfance, se demandant comment sa grand-mère a bien pu « disparaître ».
Jusqu’à ce qu’il comprenne que cette « disparition » n’en est pas une.
Elle porte un nom et existe à une date et un lieu précis.
Camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. 10 février 1944.
« Disparue ». « Anéantie », plutôt.
Vienne. Début des années 60. Quelques années après la « disparition ».
Le serveur entend mon grand-père compter. Il se dirige vers la porte, et dit :
« On ne sert pas les juifs, ici. ».

À PROPOS
Chroniques familiales est un projet né d’une double dynamique : d’une part, les questions de mémoire et de transmission, qui sont centrales dans mon travail d’autrice et jalonnent tous mes textes ; d’autre part, l’histoire des deux branches de ma famille, purs produits de l’Histoire du 20ème siècle, et la prise de conscience de la nécessité de récolter la parole des témoins du passé tant que cela est encore possible, de garder des traces écrites des souvenirs, de ces petites histoires nichées au cœur de la grande ayant fini par aboutir à notre présence ici et aujourd’hui. Voilà, peut-être, l’objet de ce projet : inviter, par l’écriture, à interroger aujourd’hui à partir d’hier, à chercher comme dans un jeu de piste d’où l’on vient, et pouvoir entendre ces histoires se mêler à celles des autres et peut-être les voir se répondre, s’entrechoquer, se ressembler quels que soient les lieux, les époques, les origines. Chercher, peut-être, une traduction concrète à ce qui nous relie, et à la richesse de nos différences.
Rebecca Vaissermann